Ils sont plusieurs réalisateurs à Hong Kong à ne pas avoir bénéficié de la reconnaissance qu’ils méritaient, des auteurs majeurs dont l’œuvre reste dans des cercles d’initiés/amateurs alors qu’ils ont tout pour séduire le grand public. Parmi eux, Ann Hui bien sur, qui à 65 ans continue son petit bout de chemin, et Kirk Wong. Kirk Wong c’est pour beaucoup le réalisateur du pas terrible The Big Hit avec Mark Wahlberg et Lou Diamond Phillips, mais c’est surtout le metteur en scène d’une poignée de films fondamentaux à Hong Kong. Gunmen, relecture assez brillante de Incorruptibles sous la houlette de Tsui Hark, O.C.T.B., polar brutal considéré comme le Heat kong-kongais, Rock N’Roll Cop qui achevait un cycle formidable sur la police et bien sur Crime Story, le film qui fit passer Jackie Chan du statut e clown à celui d’acteur, une de ses plus belles performances à ce jour. Dégoûté de son expérience américaine (il a refusé de signer son dernier film de son nom), Kirk Wong a pris sa retraite anticipée au début des années 2000, laissant derrière lui une filmographie peu fournie mais impressionnante, dont le premier jalon se nomme The Club. The Club est un film rare, quasiment invisible aujourd’hui, et qui contient déjà toute la rage qui éclaboussera les cinéastes de la nouvelle vague HK. Une œuvre excessive qui ouvrira la voie à toute une mode de polars mafieux.
Il y a des premiers films qui sont bourrés de défauts, et parfois il y en a comme The Club qui pourraient bien déjà constituer le sommet d’une carrière. A la fin des années 70, le spectre de la corruption régnant à Hong Kong et la perspective d’indépendance, qui arrivera en 1983, vont alimenter l’imaginaire des cinéastes qui vont recracher toute cette colère sur pellicule. La scène d’introduction sous forme de flashback, avec son filtre jaune et sa violence dans le cadre autant que dans la mise en scène caméra à l’épaule, donne le la. The Club c’est l’histoire d’une fraternité née dans la violence et le crime, trois voyous qui se seront construits une carrière à travers des actes peu recommandables et dans l’illégalité. Le récit est plutôt simple, il s’agit d’un pur film de gangsters se résumant à une lutte de territoires, une guerre pour le contrôle d’une boîte de nuit et les coups bas entre triades qui en résultent. C’est dans le traitement que The Club diffère. Dans la noirceur qui inonde tout le film, dans la plongée sans concession dans la pègre qu’il propose, dans tous ses excès les plus fous. Le plus symptomatique de ce traitement est l’absence totale des forces de police, qui seront cantonnées à quelques photographies dans le final du film, comme si elles ne valaient pas mieux que de simples “nettoyeurs” après la guerre des gangs. Kirk Wong est un électron libre qui est adepte de tout ce qui est frontal. Ainsi, la violence outrancière (mise à mort d’un boss des triades à l’hélice de moteur de bateau, agression des hôtesses chez elles, et autres assassinats ultra-violents) se mêle à un traitement très cru de la nudité et du sexe. Ces excès, à mettre en parallèle avec ceux de Tsui Hark sur L’enfer des armes, sont les signes précurseurs de la vague des films de catégorie III qui balayeront toutes les notions morales à Hong Kong 10 ans plus tard. The Club est ainsi un pont entre plusieurs générations de cinéastes et de genres, tenant autant du polar urbain, du film de gangster, du huis clos avec sa première partie ne sortant que très peu du décor fermé du club en question, que du pur film d’action hérité de la Shaw Brothers et d’autres compagnies ayant œuvré dans le film de kung-fu des années 70. Ce n’est pas un hasard si on retrouve au casting des têtes bien connues telles que celles de Michael Chan (qui également réglé les scènes d’action) ou Norman Chu, second rôle récurent des wu xia pian et bad guy en puissance du cinéma HK au charisme incroyable.
Par la mise en scène ultra vénère de Kirk Wong, adepte des mouvements agressifs (il faut voir ses travellings hallucinants pour définir l’espace de la boîte de nuit, allant d’un groupe de gangsters à l’autre) et de la caméra portée tout en gardant une lisibilité exemplaire, par le montage audacieux de David Wu, futur pilier de la Film Workshop de Tsui Hark, qui ose les parallèles entre une mise à mort et une scène d’amour, qui impose le montage cut pendant une séquence d’entraînement et des ralentis qui iconisent à mort les personnages transformés en instrument de la vengeance, on a presque la sensation d’être face à une sorte de Sam Peckinpah version HK. Et quand il laisse place à l’action pure, c’est un véritable déferlement de violence sans limite. Avec de véritables artistes martiaux face à la caméra, il peut se permettre de rallonger la durée des plans pour filmer des combats et des cascades souvent dingues, à l’image de toute la séquence dans le parking souterrain ponctuée de vrais morceaux de bravoure. Et quand ces deux frères de sang se retrouvent enfin côte à côte, sabre à la main, pour aller affronter des dizaines d’ennemis armés jusqu’aux dents, avançant en contre-plongée face à leur destin, c’est l’idéal chevaleresque de Chang Cheh qui ressurgit tout à coup, annonçant autant la vague d’heroic bloodshed portée par John Woo dès Le Syndicat du crime que, des années plus tard, l’arrivée de la mariée face aux Crazy 88 dans Kill Bill ou le chemin vers leur destin tragique de Seok-hwan et Tae-su dans The City of Violence. On pourra toujours se focaliser sur des défauts évidents, de la composition kitchissime à un jeu d’acteur parfois très limite, ainsi qu’à quelques effets franchement datés, mais ce n’est rien face à l’énergie folle qui se dégage de ce film, son désespoir (on ne compte plus les personnages majeurs qui meurent), sa noirceur, sa certaine virtuosité et surtout son aspect franchement visionnaire vis à vis de l’évolution du polar Hong-kongais, et donc mondial. Malheureusement, The Club est aujourd’hui un film quasi invisible dont les copies ont été perdues ou détruites, ajoutant encore un peu à son statut de film culte. Dans tous les cas, il mériterait une renaissance tant il s’agit là d’un film important dans l’histoire du cinéma du début des années 80. Et la preuve que Kirk Wong méritait bien mieux que l’indifférence polie que provoque sa courte carrière.