S’il a fallu attendre son neo-slasher ultra violent Dream Home pour qu’un distributeur prenne enfin le temps de s’intéresser un peu à lui, deux de ses précédents films étant sortis en DVD dans l’indifférence totale, c’est pourtant le film le moins représentatif de la carrière d’Edmond Pang Ho-cheung qui depuis une dizaine d’années et à peu près autant de films s’est imposé comme l’un des réalisateurs les plus intéressants de Hong Kong. Intéressant dans le sens où il n’aime rien d’autre que de briser les conventions, oser les mélanges des genres les plus improbables, user d’un humour qui tranche avec la comédie cantonaise classique et parler ouvertement de sexe. Tout cela l’enferme encore et toujours dans la petite boîte des films de catégorie III, y compris quand il fait de la comédie romantique grand public (Love in a Puff / Love in the Buff), et personne ne semble conscient que le futur du cinéma HK passera forcément par ce réalisateur hors normes. Surtout maintenant que Stephen Chow semble être entré dans le moule des réalisateurs de République populaire de Chine. Pour Edmond Pang c’est simple, ses films ne peuvent pas passer le comité de censure chinois et restent destinés à une exploitation, limitée, à Hong Kong. C’est le prix du cinéma libre.
Vulgaria, et son titre sans détour, ne fait clairement pas dans la dentelle. Edmond Pang signe là son film le plus extrême dans le registre de la comédie, tout en jonglant avec une belle dose de cynisme bien placé. A travers ce récit prenant la forme d’une histoire fragmentée racontée par un producteur de seconde zone à un amphithéâtre rempli d’étudiants en cinéma, Vulgaria pointe avec précision les dérives d’une industrie tout en livrant le portrait au vitriol d’un homme dont l’apparence (producteur de films, la classe) n’est là que pour masquer sa vraie nature : celle d’un loser. Mais loin de toute moralisation facile, il livre avant tout une comédie acide et vulgaire, trash et offensive, comme s’il se rêvait – et il a en grande partie raison – en digne héritier de John Waters. Avec sa mise en scène travaillée à l’extrême malgré un tournage expédié en douze jours, et qui reprend à son compte une esthétique de série TV moderne tournée en numérique avec ce léger tremblement pour faire “réaliste” doublé de zooms avant utilisés jusqu’à l’écœurement lorsqu’un personnage s’exprime. Un style finalement issu du reportage TV et qui n’a généralement aucun sens sauf quand un vrai réalisateur comme Edmond Pang décide de l’utiliser pour raconter quelque chose et se moquer d’un système. Cette esthétique marquée convient à la perfection à cette œuvre clairement post-moderne, montrant les coulisses du cinéma et mettant en scène des personnages qui prennent directement le spectateur à partie. Se met ainsi en place un jeu pervers avec le public qui donne à Vulgaria une dimension ludique inattendue, le producteur To Wai-cheung nous invitant ouvertement autour de la table pour profiter de ses souvenirs et de son expérience pas commune, en même temps que ses aveux très impudiques. Nourri d’expériences bien réelles racontées par l’acteur Chapman To, qui fait ici un numéro d’acteur formidable, Vulgaria fait étal d’un mauvais goût totalement assumé et d’un humour à la fois très populaire et accessible, car ciblé en dessous de la ceinture et trash, et ultra référencé en s’adressant aux spectateurs familiers du cinéma déviant de Hong Kong ou de ses figures ancestrales. Ainsi, si les gags sur Popping Candy et sa technique de fellation très… surprenante, la comparaison entre le métier de producteur et les poils pubiens, ou encore LE gag zoophile de l’année, sont imparables et universels, l’utilisation de la star de la Shaw Brothers Siu Yam-Yam aujourd’hui défigurée à la suite d’un accident, ou encore les vannes visant Hiro Hayama, cible des médias pour s’être dénudé plus que de raison dans 3D Sex and Zen: Extreme Ecstasy, font dans l’humour référentiel un poil plus segmentant.Dans tous les cas, on est dans l’humour sans concession et surtout très efficace et méprisant les notions de morale ou de bon goût, chose de plus en plus rare en ce bas monde.
En ce moquant ouvertement du milieu de la production cinématographique comme il l’avait déjà plus ou moins fait sous d’autres angles dans You Shoot, I Shoot ou A.V., des assistantes vénales, des réalisateurs reconvertis dans les paris illégaux, des acteurs coincés dans un genre dont ils ne sortiront jamais, des actrices obligées de multiplier les passages sous le bureau des hommes du milieu, des effets numériques pourris, de Chow Yun-fat, et de centaines d’autres choses, Edmond Pang n’épargne rien ni personne dans sa peinture assassine. On rit donc beaucoup et de bon cœur devant ce Vulgaria gentiment trash qui envoie valser tout le milieu et ses dérives, des relations mafieuses que peuvent entretenir les producteurs avec les triades à l’exploitation inhumaine d’acteurs pleins d’espoir. Edmond Pang ne prend pas de gants et fait d’ailleurs du mafieux de service un bouseux de Chine continentale perdu dans le souvenir d’un film érotique hong-kongais, adepte des mets exotiques de type souris, chat ou tortue, et dont la “femme” n’est autre qu’une mule. On comprend que le film n’ait même pas été envoyé au comité de censure qui ne se serait jamais remis d’un tel affront. Et si l’ensemble du film est baigné dans cet humours cru et trash qui lui donne une certaine légèreté, il n’en reste pas moins concentré sur son sujet avec un scénario brillamment écrit jusque dans ses excès les plus interactifs avec le public. Et derrière la blague, on trouve tout de même le portrait beaucoup moins amusant d’un homme fin manipulateur, la conclusion du film révélant à quel point c’est un homme de son temps et très doué, mais absolument incapable de gérer sa situation de père de famille, ne sachant que faire de la notion d’éducation. On rit beaucoup, c’est vrai, mais on a également droit à notre lot de situations pathétiques et assez tristes au final. Encore une belle réussite franchement inattendue pour Edmond Pang qui n’a pas fini de surprendre son monde.