Retour sur l’une des œuvres les plus importantes dans le cinéma Asiatique, pierre angulaire dans la filmographie de l’immense Tsui Hark, qui permit de le faire découvrir au-delà des frontières. Un authentique chef d’œuvre visionnaire qui ne cesse de fasciner encore aujourd’hui et dont la genèse démarre dans une galaxie lointaine, très lointaine.
Été 1977, la sortie en salles d’une petite production nommée La Guerre des étoiles, provoque un succès planétaire, que ses instigateurs, le cinéaste George Lucas et le producteur Gary Kurtz n’avaient pas vraiment vu venir. Trois ans plus tard, à Hong Kong le réalisateur Tsui Hark, voit sa carrière compromise par la sortie du très subversif L’enfer des armes, un brûlot anarchiste dans lequel une bande de jeunes s’adonnent aux pires exactions possibles. Pour se sortir de cette impasse, il enchaîne avec la comédie All the Wrong Clues, qui lui permet de connaître un petit succès. À ce moment, Hark propose à Raymond Chow de la Golden Harvest une épopée d’héroic fantasy chinoise inspirée des serials de son enfance, qui serait la réponse asiatique au long-métrage de George Lucas. Pour réussir sa tache, le producteur de Big Boss et de L’exorciste Chinois consent au cinéaste le plus gros budget de l’histoire du cinéma hongkongais. Doté d’un casting prestigieux : Yuen Bao, Adam Cheng, Brigitte Lin, Sammo Hung, Moon Lee … . Et d’une équipe qui officiera dans la réussite de futurs classiques. Le directeur photo Bill Wong travaillera pour Ann Hui, Patrick Tam, tout en continuant sa collaboration avec Hark sur Il était une fois en Chine. Le directeur artistique William Chang deviendra le fidèle collaborateur de Wong Kar Wai. Quant au monteur Peter Cheung, déjà à l’œuvre sur La dernière chevalerie de John Woo, il se chargera d’assembler les meilleurs films de Jackie Chan. Sans oublier le chorégraphe Corey Yuen, qu’on ne présente plus.
Le cinéaste va également contacter, par l’intermédiaire de revues spécialisées, de nombreux experts en effets visuels déjà à l’œuvre sur La guerre des étoiles et Tron. Peter Kuran (fondateur de la compagnie VCE), Robert Blalack ou encore John Scheele. Viendront s’adjoindre de nombreux novices issus des télévisions et universités hongkongaises. Le tournage, étalé sur plus de 9 mois, sera émaillé de nombreux problèmes : indisponibilité des interprètes, effets spéciaux difficiles à réaliser, réécritures successives…. . Golden Harvest finira par arrêter le tournage, malgré les réticences d’un Tsui Hark, prêt à travailler gratuitement. Beaucoup de monde, de moyens, d’énergie et de temps au service d’une œuvre unique en son genre. Ti Ming Chi (Yuen Bao), un jeune soldat de l’armée des bleus, aidé de Ting Yin (Adam Cheng), un courageux moinillon, ont 49 jours pour empêcher une force maléfique de détruire le monde de Zu. Ils devront se rendre au royaume des glaces, et affronter mille et un danger. Le long-métrage pourra en déconcerter plus d’un. Certains effets visuels pourront paraître dépassés pour certains. Le montage rapide (euphémisme) rend la narration elliptique, et difficile à comprendre. Laissant certains spectateurs habitués à un visionnage plus « classique », sur le carreau. Pourtant c’est bel et bien de ces partis pris radicaux (nés en partie d’un tournage chaotique) que Zu, les guerriers de la montagne magique se révèle hors du commun. Le montage privilégie les morceaux de bravoures scéniques : le premier combat aérien dans la caverne, la montagne de crânes, la rencontre avec la reine des glaces (Brigitte Lin) … Mais n’oublie jamais sa portée émotionnelle et profondément tragique. Ti Ming Chi ne cesse de questionner l’absurdité de la guerre, la reine des glaces et Ting Yin vivent une histoire d’amour impossible, l’imminence d’une apocalypse est omniprésente à l’écran. Le tout sous couvert d’un humour qui se moque gentiment du besoin de rationaliser la fonction des protagonistes. Les personnages étant des figures héroïques et divines, qui assument complètement ce statut.
La caractérisation « simple » cache une réflexion ésotérique complexe sur le bien et le mal, l’amour platonique, l’équilibre entre les énergies régissant ce monde chaotique. Le cinéaste poursuivant son travail réflexif autour du chaos et de la place des femmes dans les mythes, faisant de ces dernières les mentors de nos deux héros, et le dernier espoir du monde. Tsui Hark, grand fan de comics, avoue avoir fait de ses protagonistes des super héros. Le format 1 : 85 (choisi afin de faciliter l’utilisation des SFX) ayant pour effet de rendre les cadres plus proches d’une case de BD. Le cinéaste jouant avec les perspectives, la profondeur de champ, le positionnement des personnages afin de reconstituer le langage visuel propre à des dessinateurs comme Jack Kirby. On pourra notamment repérer l’influence du manga, dans la manière dont le cinéaste utilise le langage corporel de manière expressitiviste. Ce qui nous amène à aborder la « fusion artistique ». Depuis ses débuts Tsui Hark aime à mélanger les genres.Wu Xia Pian, et « Whodunit » à la Sherlock Holmes dans Butterfly Murders. Comédie splatick et gore grand guignol dans Histoires de Cannibales…. . Zu, les guerriers de la montagne magique n’est pas seulement un mélange de genres cinématographique, mais un mélange de supports artistiques. Comics, manga mais aussi cartoons, arts martiaux, opéra chinois, et jeu de rôles. Le tout trouvant son apothéose dans un final orgasmique qui ne trouve d’équivalent que dans la course finale de Speed Racer. Tsui Hark poussant à son paroxysme l’approche purement sensorielle et viscérale de son art. Faisant du réalisateur de Peking Opéra Blues, l’un des cinéastes les plus « sensitifs » aux côtés de John Woo et Sam Raimi.
Sorti lors du nouvel an chinois 1983, Zu , les guerriers de la montagne magique sera un bide au box-office local. Déprimé par cet échec Tsui Hark enchaînera avec la commande Mad Mission 3. Une parodie des James Bond avec notamment Richard Kiel et Peter Graves, dont il ne terminera même pas le tournage. Entre temps Zu commence à se forger une réputation dans les festivals internationaux, et acquérir un statut culte, ce qui vaudra à Tsui Hark le surnom de « Spielberg Chinois ». Aux États-Unis, marché pour lequel des scènes supplémentaires ont été tournées, il sera même diffusé dans une version sensiblement différente. Yuen Bao devenant un étudiant en mythologie chinoise qui, durant un coma, se met à rêver du monde de Zu. Le film connaîtra un réseau de fans célèbres. John Carpenter lui rendra hommage à travers Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin. Les RPG Japonais comme Final Fantasy ou Dragon Quest reprendront certaines idées structurelles. Mais c’est surtout le travail de « fusion artistique » entrepri par le cinéaste et ses équipes qui influenceront durablement l’approche cinégénique de nombreux réalisateurs. Guillermo del Toro mélangera de façon très habile, comics, manga, anime, jeux vidéo, arts martiaux, films de monstres, peintures antiques et blaxpoitation dans le définitif Blade 2. Edgar Wright mixera l’ensemble des influences précitées mais dans un univers plus musical via Scott Pilgrim. Enfin les Wachowski ont bâti une très grande part de leurs œuvres autour de cette notion de «fusion artistique » préfigurant un cinéma de demain décomplexé et sans hiérarchie dans l’approche sensitive des arts, entre ponts du passé et porte tourné vers l’avenir.
Zu fut par ailleurs l’un des premiers films à avoir utilisé intelligemment, les ressources laissées par Lucas. Là où l’époque voyait sortir de nombreuses copies de Star Wars, Tsui Hark a eu l’intelligence de faire appels aux artisans du célèbre space opera, pour une histoire prenant place dans la mythologie et la culture populaire de son pays pour la ressusciter, tout en prouvant qu’il était possible de bénéficier des mêmes moyens, mais sans forcément être dépendant des États-Unis. Préfigurant d’une quinzaine d’années l’approche des Néo Zélandais Peter Jackson et Richard Taylor pour la confection du Seigneur des anneaux.
Zu, les guerriers de la montagne magique était l’occasion rêvée pour Tsui Hark d’exprimer pleinement tous ses rêves artistiques. C’est dans cette optique que le cinéaste fondera aux cotés de sa femme, la productrice Nansun Shi, la Film Workshop. Maison de production qui lui permettra de concevoir des œuvres artistiquement ambitieuses et à visée populaires, tout en produisant de nombreux cinéastes importants, et dont Shanghai Blues en 1984, sera le coup d’envoi.
On retrouvera de nombreuses figures des Guerriers de la montagne magique dans Histoires de fantômes Chinois, Green Snake ou même Detective Dee : Le mystère de la flamme fantôme. Tsui Hark allant même jusqu’à tourner une suite en 2001 : La légende de Zu.
Pour toutes ses raisons Zu les guerriers de la montagne magique, est un vrai film visionnaire, une pure expérience sensorielle et jouissive, un « ride » dont le plaisir demeure toujours aussi intact, et qui mérite sa place aux panthéons des plus grands classiques, d’être découvert, redécouvert et apprécié par les générations futures.