Le début des années 80 marque l’éclosion de l’âge d’or du cinéma de Hong Kong, 20 ans de folie créatrice qui auront imprimé l’histoire du cinéma international. Et s’il est généralement assimilé que cette période a révolutionné le cinéma d’action, la comédie et le cinéma d’horreur y ont également explosé à travers une série d’œuvres hybrides dont Mr. Vampire est un des plus éminents représentants.
Depuis les années 60, Sammo Hung alimente le cinéma d’action hongkongais autant par sa présence devant la caméra, mettant à profit des qualités martiales hors du commun, que derrière en produisant des chorégraphies pour près d’une cinquantaine de films. En 1977, il passe logiquement à la réalisation, pour se mettre en scène ainsi que son comparse des Lucky Seven, Yuen Biao. En 1980, petit coup de tonnerre, il réalise L’exorciste chinois, film d’une audace folle et visionnaire qui va lancer tout un courant cinématographique nommé la « ghost kung fu comedy ». La recette est simple : mélanger des éléments du film de kung-fu, de la comédie et du cinéma fantastique ou horrifique dans un ensemble cohérent. L’idée séduit tellement que d’innombrables ersatz verront le jour pendant des années, jusqu’à ce que Sammo Hung lui-même produise ce premier film de la saga Mr. Vampire.
Alors bien occupé par la réalisation du Flic de Hong Kong, avec Jackie Chan, et de sa suite dans la foulée, Sammo Hung confie la mise en scène de Mr. Vampire à Ricky Lau, son directeur de la photographie depuis Enter the Fat Dragon, et dont le nom restera associé au genre jusque dans les années 2000 (en 2007, il réalisait encore Vampire Super avec Yuen Wah). Sans surprise, cette relecture de vieilles légendes chinoises dans un dispositif extrêmement moderne, soit la marque du cinéma HK à son âge d’or, passionnera le public qui en fit un immense succès donnant lieu à des suites de qualité variable. Moderne car Mr. Vampire fait se confronter des motifs fantastiques typiquement occidentaux, les vampires, avec une certaine tradition chinoise. Le vampire n’y est plus une figure romantique et symbolique, mais une nouvelle incarnation physique d’un esprit n’étant pas en paix. Dans ce film, les vampires n’ont donc plus rien à voir avec l’image que le public occidental peut avoir, mis à part la présence de canines proéminentes. Ils sont tout d’abord exclusivement masculins, vêtus de leur tenue funéraire, et se déplacent en faisant des petits bonds, leurs pieds étant liés selon le rite taoïste. Cette inclusion d’un rite typiquement chinois est le berceau d’éléments comiques dévastateurs, faisant de Mr. Vampire une comédie avant tout, nourrie d’une bonne dose d’horreur et d’action, mais clairement un petit monument de slapstick.
Ainsi, malgré un personnage de vampire plutôt effrayant, le récit est traité depuis l’angle de l’humour. Quelque part dans une direction pas si éloignée des films d’Abbott et Costello, avec d’ailleurs l’utilisation de la figure des deux nigauds représentés ici par les deux disciples de maître Kau, véritables vecteurs humoristiques de tout le dispositif. Le premier idiot, incarné par le regretté Ricky Hui (frère cadet de l’immense comique Michael Hui), va passer la majeure partie du film à cacher sa transformation en vampire suite à une morsure. Ce qui donne lieu à des situations souvent très drôles, que se réappropriera des années plus tard Robert Rodriguez pour Une Nuit en enfer, et notamment pour le personnage de Sex Machine. Le second est incarné par Chin Siu-Ho et participe à l’hybridation extrême de Mr. Vampire.
En effet, son personnage de disciple taquin va tomber amoureux d’un démon. Dans le folklore chinois utilisé ici, un démon prend l’apparence d’une belle femme aux vêtements flottants dans les airs et se déplaçant avec grâce. Cette relation, annonçant Histoires de fantômes chinois deux ans plus tard (avec déjà Wu Ma dans un petit rôle), ajoute donc une créature mythologique au récit, apporte une pointe de romance, et donnera lieu à une séquence d’action assez exceptionnelle ainsi qu’à un effort de maquillage assez dégueulasse. Vampires et fantômes/démons donc, mais également des zombies, la transformation du personnage de Yuen Wah tenant plus de celle en mort-vivant qu’en suceur de sang. Les éléments horrifiques sont sans cesse détournés pour alimenter la charge comique de l’ensemble. Par exemple, la traque des vampires, repérant les êtres vivants à leur souffle, donne lieu à des scènes hilarantes dans lesquelles les personnages tentent par tous les moyens de retenir leur respiration, ou de la détourner. Mais plus que les gags en eux-mêmes, et cela malgré leur efficacité totale, c’est dans la rythmique comique que Mr. Vampire impressionne par sa maîtrise. Le tempo est des plus soutenus dans un film qui file à toute allure.
Foisonnant d’idées, autant dans le contenu du récit que dans la mise en scène, Mr. Vampire repousse les limites de l’hybridation cinématographique en intégrant de véritables morceaux de bravoure en terme d’action. Les combats sont nombreux et bénéficient du talent conjoint de Yuen Wah et Lam Ching-Ying (excellent interprète de maître Kau) au niveau de leur création, ainsi que des capacités martiales évidentes de l’ensemble du cast. Mais ils brillent surtout par leur inventivité car ils mêlent habilement un kung-fu de haut niveau avec un rituel taoïste, qui va de l’application de papiers jaunes surmontés d’incantations sur le front des créatures à l’utilisation d’armes magiques bénéficiant d’effets spéciaux assez sommaires (loin de ceux de Zu, les guerriers de la montagne magique sortis deux ans plus tôt) mais à l’efficacité certaine tant l’ensemble reste fantaisiste. En résulte un ensemble assez fou dans lequel un personnage qui danse sur du riz gluant pour contrer une malédiction peut côtoyer une tête volante, dans lequel l’humour pas toujours finaud mais toujours très drôle (basé sur le geste et le quiproquos) est ponctué de combats formidables, et qui bénéficie surtout d’une liberté de ton totale et d’un foisonnement d’idées qui en font un jalon essentiel de ce qui fut la grande période créatrice du cinéma HK.