Architecture et cinéma peuvent-ils faire bon ménage ? C’est en filigrane la question que pose ce documentaire au titre imbuvable. How Much Does Your Building Weigh, Mr Foster? c’est précisément la question que posa un jour Richard Buckminster Fuller à Norman Foster, la question du maître à son élève et qui résume le parcours d’architecte de Norman Foster. C’est surtout le point de départ de ce documentaire qui n’en est pas tout à fait un. Quiconque s’est un jour intéressé de près à l’architecture n’y apprendra pas beaucoup de choses mais le film représente une belle plongée dans cet univers de masses et de formes colossales. ce n’est pas tout à fait un documentaire car le film s’inscrit dans un programme bien précis, Antonio Sanz cherchant à créer une série de films sur quelques acteurs majeurs de l’art du XXIème siècle. La limite de l’exercice se situe dans cette démarche, dresser un portrait et non proposer un documentaire. Ainsi, alors que tous les génies possèdent leur côté obscur, il est ici totalement occulté, ou gentiment tourné. How Much Does Your Building Weigh, Mr Foster? est une pure hagiographie et nécessite, comme tout exercice de ce type, une certaine connexion entre le spectateur et le sujet pour saisir l’admiration sans borne qui déborde de chaque séquence.
Comme tous les visionnaires et grand artistes/techniciens de l’histoire, Norman Foster inspire respect absolu et fascination, comme une sorte d’icône de l’architecture. Ainsi quand How Much Does Your Building Weigh, Mr Foster? prend la forme classique du documentaire basé sur des interviews de proches et collaborateurs, et notamment des employés, il ne faut pas s’attendre à autre chose que des louanges et un sérieux cirage de pompes. Pas beaucoup de recul à noter non plus dans la dernière partie du film qui fait l’apologie de ses projets d’avenir, et notamment cette ville verte à Abu Dhabi, complètement autonome en énergie, une utopie complètement folle qui finit d’enfoncer le clou du portrait de visionnaire qui nous est donné de voir. Pas toujours très fin non plus le portrait de l’homme comme les autres, avec une sensation de mise en scène parfois désagréable : Norman retrouve la maison de son enfance, Norman rencontre un ami, Norman pilote son avion… ce n’est clairement pas dans le portrait pur et dur que se situe l’intérêt du film. Bien entendu l’énoncé impérial de sa vie et son œuvre peut passionner quiconque s’intéresse à l’homme derrière des monuments aussi glorieux que le viaduc de Millau ou le Reichstag reconstruit, mais il s’agit là d’und es aspects du film qui pourrait être diffusé sur une chaîne de TV que cela ne changerait pas grand chose. Non, How Much Does Your Building Weigh, Mr Foster? devient passionnant, hypnotique même, quand les deux auteurs décident de se mettre dans la peau de vrais metteurs en scène, voire de vidéastes, et filment les créations de Norman Foster.
Dès lors, la fascination de l’homme pour les structures légères et les avions, qui imprime chacun de ses bâtiments du plus modeste au plus magistral (le Terminal 3 de l’aéroport de Beijing et son design de dragon, fièrement nommé “le plus grand bâtiment du monde”), transpire de l’écran et tisse un lien étroite entre l’architecture et l’image de cinéma. Suivant une construction extrêmement posée de longs plans aérien ou de mouvements au plus près des structures, à chaque fois d’une durée conséquente et rythmés par une composition atmosphérique, ces merveilles issues de l’esprit de celui que l’on a nommé le Mozart du modernisme semblent prendre littéralement vie dans le cadre. Une approche à la Ron Fricke pour vulgariser, avec un sens incroyable de la captation du détail et des composition géométriques qui donnent le tournis. How Much Does Your Building Weigh, Mr Foster? devient dans ces beaux moments qu’on souhaiterait ne jamais voir s’arrêter une œuvre plastique hypnotisante. La caméra semble caresser les structures et les matières de ces poèmes gravés dans le métal et le gigantisme tandis que le temps se voit distordu par les effets de time lapse qui font se mouvoir l’environnement autour des bâtiments. Parfois beau à en pleurer, à tel point qu’on en regrette l’utilisation d’un “petit” 1.85 classique comme format d’image quand un tournage en 70mm aurait carrément transcendé l’expérience de spectateur, How Much Does Your Building Weigh, Mr Foster? est ainsi une œuvre un brin schizophrène. D’un côté le documentaire hagiographique basique qui enchantera les uns et agacera les autres, avec un simple intérêt pédagogique, et de l’autre une expérience poétique et immersive de mise en scène de bâtiments parmi les plus impressionnants de la planète, au plus près de leur essence. L’architecture et le cinéma peuvent donc faire bon ménage, quand le second se met au service de la première pour la sublimer et l’immortaliser sur pellicule.